Mathieu Segret

Propos recueillis par Camille Sultra
Photographies : Mathieu Segret


J’ai à coeur de travailler avec des outils à main, en utilisant la seule énergie de mon corps. 

Les espaces naturels du sud de la France sont devenus ses terres de prédilection pour créer, façonner et s’adonner à sa passion. Ancien designer produit, Mathieu Segret a fui le tumulte de la ville pour s’installer dans un environnement paisible et propice à la création. Sensible à la beauté et la délicatesse de la nature qui l’entoure, il créé de ses mains des œuvres singulières, raffinées et poétiques.

Guidé par sa spontanéité, son travail est l’aboutissement d’un processus lent où se mêlent découvertes, imprévus et poésie du geste. Ses personnages uniques aux courbes arrondies et au corps rugueux content leur histoire dans une forme de dialogue silencieux. Presque palpables, des émotions jaillissent de leur posture courbées, leur donnant un semblant d’humanité.

Sa matière première, Mathieu la choisit avec beaucoup de soin. Pour cet amoureux du vivant, il est impensable d’envisager une démarche artistique sans y intégrer une réflexion écologique. Touchés par sa douceur et son humilité, nous avons eu envie de vous partager le parcours de ce jeune artiste engagé. Rencontre.

Luminaire Neptune
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Quel est ton parcours ?

Après une enfance en Sologne, j’ai étudié le design industriel à Paris avant de travailler dans ce domaine pendant près de dix ans. Fatigué par l'environnement urbain qui limitait ma créativité, nous sommes partis nous installer avec ma compagne dans un village du haut Var. Depuis, mon travail s'est enrichi de l'exploration de cette nature merveilleuse qui m’entoure et du respect de cet environnement plutôt préservé. 

D’où vient ton intérêt pour le travail du bois ?

Mon intérêt pour le bois débute par une lacune. Pendant des années on m’a répété que je n’étais pas manuel. J’ai pris conscience que pour tendre vers une vraie liberté de création il me fallait réussir à faire des choses de mes mains. 

Naturellement, le bois a été mon premier choix car c’est une matière facile à trouver et qui nécessite peu d’outils pour débuter. J’ai donc acheté un couteau de sculpture, deux gouges et une hache et j’ai débuté de façon autodidacte. Au delà de la matière bois, je me suis rendu compte de l’importance des arbres dans ma vie et plus largement du végétal qui m’a toujours accompagné et qui est nécessaire à mon épanouissement.

Fauteuil Duke noir
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Fauteuil Duke noir
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Quelles sont tes méthodes de fabrication ?

Sûrement en contraste avec mon expérience précédente basée principalement sur l’industrialisation et l’automatisation mais aussi par choix écologique, j’ai à cœur de travailler avec des outils à main, en utilisant la seule énergie de mon corps. C’est un processus plus long et plus dur, mais je trouve qu’il y a un rapport entre la matière et le sculpteur qui est plus intime et cela se ressent sur l’objet. C’est toute la beauté des irrégularités et des imperfections du travail à la main qui me plaît et qui n’est pas duplicable, chaque pièce est unique.

J’utilise majoritairement des outils japonais car je trouve leur usage plus intuitif que les outils occidentaux. Ils impliquent de mobiliser tout son corps dans le mouvement et sont très agréables à utiliser. 

J’ai une préférence pour les outils japonais, plus intuitifs et agréables que les outils occidentaux

Pour les finitions, j’utilise un mélange de cire d’abeille bio et d’huile de lin bio pour protéger mes pièces, c’est naturel, sain pour l’environnement et efficace dans le temps. Je choisis d’utiliser les matières les plus naturelles possibles pour un minimum d’impact sur la santé et l’environnement. On arrive à trouver des pigments naturels, des liants à base d’huile de lin, de la peinture au lait, de l’encre de Chine, des fusains, de la craie et des pastels qui sont tous de composition très saine.

Table d’appoint Pandore
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Miroir Diplo
©Matthieu Barani - Studio Ammó

J’aime créer des objets intimes, qui invitent à la lenteur, à la rêverie et à la contemplation.

Table d’appoint Pandore
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Où trouves tu ton inspiration ?

Chaque jour je prends le temps de faire une balade avec mon chien dans les collines et je m’attarde à découvrir toutes les nuances et les subtilités de cette beauté mystique. Parfois sous des échelles différentes, ça m’oblige à ralentir et à observer plus attentivement. La nature est une source inépuisable d’inspiration utilisée depuis toujours par beaucoup d’artistes et qui me remplit de joie!

Qu’est-ce que tes créations racontent de toi ?

Je trouve qu’il y a beaucoup de puissance dans l’expression des matériaux brut, quelques choses de pur et d’originel qui a disparu de nos objets. J'aime créer des objets intimes, qui invitent à la lenteur, à la rêverie et à la contemplation. Mon intention s’oriente vers l’essentiel, trouver le plus de poésie en un minimum d’interventions, comme si vous pouviez croiser ces objets dans la nature et penser qu’ils sont à leur place depuis toujours.

Luminaire Neptune
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Luminaire Neptune
©Matthieu Barani - Studio Ammó

Plages bretonnes - Studio Ammó

L’inattendu s’invite volontiers dans mes créations et leur confère un caractère unique

J’aime aussi prendre la liberté des sujets que j’ai envie de sculpter, il y a un équilibre qui me plait entre les objets usuels qui sollicitent une réflexion plus dans l’intellect et sculpter des objets artistiques qui appellent à un processus plus instinctif.

Lorsque je sculpte, je laisse volontairement dans mon processus une part d’inattendu, une place pour que certaines formes ne soient pas de mon fait. Souvent mes plus belles pièces sont nées d’erreur et d’accidents. C’est une belle philosophie que d’accepter ces événements et de les transformer et quelque chose de spécial et d’unique. 

Peux-tu nous décrire ton environnement de travail ?

Au début de mon activité par manque de moyens et de place, j’ai choisi de travailler au sol de façon traditionnelle ce qui s’est avéré très pratique parce que j’ai la liberté de changer facilement d’environnement, au gré de mes envies ou de la météo. Travailler au sol m’oblige à prendre conscience de ma posture, de mes gestes, je peux étaler mes outils sans qu’ils ne puissent tomber ni me blesser et puis mon chien adore venir m’embêter!

Travailles-tu plusieurs médiums en même temps ?

Pour le moment, je me concentre sur le bois ce qui me demande énormément d’énergie et de connaissances pour maîtriser toutes ses subtilités. Le dessin m’accompagne toujours pour réfléchir à mes pièces même si je ne pense pas à les partager et je documente beaucoup mon travail grâce à la photographie.

Comment sources tu ta matière première ?

Au vu de l’état de notre planète, sourcer des matières déjà existantes me paraît un enjeu essentiel.

J’avais plusieurs idées pour trouver du bois sans en couper davantage, j’ai expérimenté plusieurs options et celle qui me convient le mieux finalement reste le bois de récupération, quand les copains, la famille ou les voisins coupent par nécessité des essences de bois assez diverses. Ca me permet aussi d’obtenir du bois que l’on ne trouve pas en scierie comme des fruitiers ou des bois sauvages comme le cade, une sorte de genévrier très odorant de la région. 

Intégrer une réflexion écologique à ma démarche artistique m’a semblé incontournable

Ces derniers temps je me suis pris d’affection pour du hêtre de Sologne, que je récupère chez mes parents. C’est un bois particulier car il est attaqué par des champignons lignivores qui lui donne des motifs marbrés magnifiques, parfois similaire à de la pierre. Une fois ce bois récupéré je le fais sécher ce qui permet de stabiliser ces champignons qui ont besoin d’humidité constante pour se développer.

Quels sont tes projets futurs ? 

J’aimerais m’essayer à une autre échelle, créer des pièces plus monumentales. Cela implique une vraie réflexion et du matériel approprié pour faire des assemblages et construire la sculpture sans impliquer de couper de vieux arbres. Peut-être d’ailleurs que l’aspect monumental sera plutôt évoqué par la répétition et la multitude, mais ce sont des pistes qui me restent encore à explorer.  En parallèle, je travaille sur la conception d’un projet de maison passive pour y habiter avec ma compagne et notre chien, un chantier en perspective!


découvrir le travail de mathieu segret

@mathieusegret
mathieusegret.com

 

galerie